vendredi 30 septembre 2011

chapitre 06. Clic clac.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Ce matin dans le métro, une jeune femme est montée. Elle venait visiblement de finir son jogging. Survêtement à pantalon taille basse, petit sweat à capuche, cheveux brillants rassemblés en un chignon lourd, poitrine encore un peu haletante, écouteurs dans les oreilles. Je la mate avec insistance. Elle me regarde dans les yeux. Un léger voile de sueur sur son visage. Nous restons ainsi, les regards aimantés. C’est mon arrêt. Je descends, reste sur le quai. La rame repart, elle me fixe à travers la vitre.

Le lendemain matin, je tente de reprendre le même métro. Mais elle n’est pas là. Ni le jour d’après.

Une semaine plus tard, elle est là. Cette fois-ci, en t-shirt rouge avec une inscription en lettres blanches. Nous nous regardons encore. Je tente un sourire. Elle sourit en retour. Je murmure « un café ? ». Elle me fait signe qu’elle ne comprend pas. Je me déplace pour me poster à côté d’elle. Un café ? Elle me dit ok. Je pianote un sms à mon assistante pour lui dire d’annuler la réunion de 9h, ma fille est malade.

Nous descendons à son arrêt. Sans se dire un mot, nous nous prenons la main. J’ai l’impression d’avoir 15 ans. Elle doit en avoir 20. Sa liberté et sa détermination m’effraient presque un peu, mais je sais que la jeune génération est plus entreprenante, moins soucieuse des usages. Que les filles draguent autant que les mecs. Nous montons dans l’ascenseur de son immeuble, en même temps qu’une dame hostile. Bien sûr, nous arrivons au 7ème étage, celui des studettes.

L’endroit est étroit et coquet. La porte bute sur une banquette clic clac. Dans un coin, un petit bureau plein de bouquins. Une ambiance générale de pensionnat. Je lui propose de la savonner sous la douche.

vendredi 16 septembre 2011

chapitre 05. Sundae.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. De temps en temps, je me demande comment lui annoncer. Comme ce midi. De passage à Paris pour un congrés, je vais me promener à la Défense. C’est le règne du cadre sandwich à la main, soit seul, soit en compagnie d’un collègue. Les femmes mangent plutôt des salades. Je ne sais pas trop où aller. Je passe devant la Grande Arche et en admire l’architecture. Tout droit, je repère un escalator surmonté d’une sphère métallique : un cinéma. Je monte donc et parvient à ce qui me semble être l’étage le plus haut du centre commercial. Un groupe de danseurs de salsa, des restaurants modernes et pimpants, tous appartenant à des chaînes : un italien, un américain, un chinois, un japonais, un bio, un glacier. Et un McDo. J’y entre, commande, prend mon plateau et vais m’asseoir.

Je commence à mâcher une frite en regardant autour de moi. Une mère et son petit garçon. Une mère et ses deux petites filles. Une mère et sa poussette. Je m’aperçois que le mercredi midi, la grande sortie des mères esseulées, c’est ici. Bon à savoir. L’une d’elle, une brune à queue de cheval, me lance des coups d’œil. Menton un peu rebondi, poitrine pointue, long gilet pour cacher des fesses un peu molles. Je tente un demi-sourire. Elle y répond. Je commence à bander un peu. Mais c’est compliqué. Elle est avec son môme. Et puis j’ai envie d’aller au cinéma voir un polar un peu con, pour penser en même temps à la façon d’annoncer mon départ à Clara.

En finissant mon sundae, j’écris mon numéro de portable sur une serviette, suivi d’un point d’interrogation. Je trace les chiffres lentement, en étant sûr que la brune me voit faire. Puis je sors en lui lançant un petit au revoir du menton.

En plein milieu du film, un sms. Je regarde l’écran : c’est la brune « Je me suis débrouillée avec une copine pour faire garder mon fils. Etes-vous toujours dans le coin ? ». J’attends la fin de la scène et sort de la salle.

vendredi 9 septembre 2011

Chapitre 04. Sérénité.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. C’est moi qui ai insisté pour qu’on se marie et c’est moi qui veux la rupture. Le mariage me semblait le meilleur rempart contre une vie instable : je n’ai jamais vraiment aspiré à une vie bien rangée, mais j’ai eu trop peur de l’inconfort pour prolonger une adolescence attardée. J’avais plusieurs copines en même temps, je m’amusais à me construire des emplois du temps me permettant de les rencontrer toutes. Je ne changeais pas toujours les draps entre deux. Au fond, tout cela me fatiguait énormément et me renvoyait à une incapacité à m’engager, à aller jusqu’au bout. De façon générale, dans la vie, j’avais tendance à aimer les débuts et à vite m’ennuyer. Et aussi à ne pas m’impliquer totalement, à laisser une partie de moi en dehors du coup.
Un peu cyniquement, pour m’obliger au moins une fois à sauter sans filet, je décidai de me marier rapidement. De toutes mes copines je cherchais laquelle me correspondrait le plus. Mais je les avais choisies précisément pour certaines facettes d’elles-mêmes. Chacune était une figure de la femme parfaite : l’humour, le sexe, l’intelligence, la sensualité, les manières… Donc en réalité aucune ne me convenait à elle seule.
Clara, bien sûr, ne cochait pas toutes les cases. Mais finalement, elle m’apportait une certaine sérénité. Pas de passion, pas d’excès, pas vraiment de surprise. Je me dis qu’elle me ferait vivre une existence conforme à cette nouvelle étape de la vie.
Voilà pourquoi dès notre rencontre j’ai pensé à l’épouser.

En fin de compte, peut-être aurais-je dû privilégier l’élan amoureux à la raison pour me décider. Pencher pour une femme plus imprévisible, pour vivre moins confortablement sans doute, mais plus intensément. Ou bien je suis passé à une nouvelle phase. A d’autres attentes.

mardi 6 septembre 2011

Chapitre 03. Seuls.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Brune, mince, toujours vêtue de jeans très moulants et de baskets colorées : c’est Anne-Sophie, ma maîtresse. Jeune recrue de toute évidence très ambitieuse, ne manquant jamais une occasion de se mettre en avant dans une réunion, elle est évidemment jalousée des femmes et courtisées par les hommes. Un soir, nous devions terminer un document. Les bureaux se vidaient les uns après les autres. Finalement, seuls à notre étage, dans la pénombre des open spaces vides, nous nous sommes retrouvés collés côte à côte devant l’écran de mon ordinateur. Nos idées s’enchaînaient naturellement, nous donnant l’impression de bien nous connaître. Un sms sur son mobile. Elle le lit et me dit avec du mépris dans la voix : « C’est ce qui me sert de boyfriend. Il annule notre week-end. Trop de boulot. »

Une heure plus tard, après avoir baisé sur le canapé de mon bureau, nous sommes allés prendre un verre. Puis je suis rentré à la maison. Bien sûr, Clara et les filles dormaient. Le meilleur moment. Seul chez moi. Discrètement, je suis allé me servir un verre de vin et me préparer une assiette de pain grillé, de fromage et de tomates cerises. Dans le réfrigérateur, j’ai bien remarqué le reste de salade César laissé pour moi. Mais pas envie.

Après mon dîner, debout dans la cuisine, la main dans mon caleçon, regardant par la fenêtre l’immeuble d’en face, où quelques écrans de télés vibraient encore, je repensai au cul dur et doux d’Anne-Sophie. Après avoir éjaculé dans un torchon maculé de chocolat, pris à la hâte sur la poignée de la porte du four, je suis allé me laver les dents, puis me déshabiller et me coucher sans faire de bruit aux côtés de mon épouse, le plus doucement possible pour ne pas avoir à dire « bonne nuit ma chérie ».

vendredi 8 juillet 2011

Chapitre 02. Ménage.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Nous nous sommes rencontrés dans un mariage. J’étais le cousin du marié, elle une des meilleures amies de la mariée. J’étais à une table ennuyeuse, obligé de parler de l’actualité, de l’immobilier, des vacances. La tannée. J’avais remarqué Clara en train de rire aux blagues d’un petit type vibrionnant. Un peu jaloux, j’avais guetté le moment où elle se levait et lui apportait une coupe. Très souriante, elle trinqua avec moi à notre rencontre et poursuivit son chemin vers son groupe de copines.

Plus tard, sur la piste de danse, nous avons apprécié nos corps en mouvement. Encore plus tard, sur un banc du grand parc constellée de fleurs blanches qui semblaient lumineuses dans la nuit, nous nous sommes embrassés. J’ai défait son bustier. Quelle beauté, le torse nu caressé par la pleine lune.

Deux mois ont passé avant que nous nous mettions en ménage. Puis le premier bébé. Et les premiers signes d’essoufflement de notre couple. Le deuxième bébé. L’emploi du temps délirant : nous ne nous croisions presque jamais. Elle finissait encore plus tard que moi. La nounou n’en pouvait plus d’attendre tous les soirs notre arrivée. Tensions grandissantes. Puis Clara s’est fait virer. Puis elle a retrouver un job à mi-temps dans une agence immobilière du quartier. Du coup, elle cumulait les frustrations d’un travail en deçà de ses qualifications et celles de la femme au foyer devant s’occuper tous les après-midis des enfants.

A ce moment, je me suis débrouillé pour fixer des réunions de plus en plus tard, pour éviter l’ambiance tendue des repas, des bains, des couchers. Pour revenir au moment où, fatiguée de sa journée, elle était déjà devant la télé ou au lit avec un bouquin.

Elle avait été très surprise de ma demande en mariage. J’ai même senti une hésitation telle que j’ai cru qu’elle allait demander un délai de réflexion. Mais elle a dit oui, les larmes aux yeux. Cela m’avait paru un bon signe.

mardi 5 juillet 2011

Chapitre 01. Simulacres.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Un sentiment diffus s’est mué en certitude, un soir, en rentrant du bureau. La lassitude d’une vie trop prévisible. Je mets la clef dans la serrure, je tourne. Ma fille aînée s’exclame « Voilà Papa ! Vite, cachons-nous !». Exaspérant. La première fois, j’étais tout content d’entrer comme si je n’avais rien entendu. De dire d’une grosse voix Mais où est donc Jade ? Mais où se cache-t-elle donc ? Et de l’apercevoir du coin de l’œil, frémissante derrière le rideau du salon. De m’en approcher comme par hasard, puis de la prendre dans mes bras en la chatouillant. Et puis, au bout de plusieurs soirs, la répétition de ce petit manège a commencé à me fatiguer.
A présent, je redoute d’entendre sa voix joueuse. Mais hier, je suis ne suis pas entré dans son jeu. J’ai complètement ignoré ses appels et ses gloussements. J’ai hurlé un ultimatum de retourner vite fait à table ou je lui flanque une fessée. Hésitante, comme pour voir si j’étais bien sérieux – mais elle connaît le ton de ma voix- elle a sorti sa tête. Puis est venue s’asseoir devant son assiette à moitié finie, l’air triste.

C’est comme avec sa mère. Tous les bons moments se sont mués en simulacres crispants, à force de se répéter. Les petites attentions, qui montrent que nous nous connaissons si bien, deviennent à force insupportables. Comme des violations incessantes d'intimité. Les anniversaires, épreuves à surmonter années après années : trouver un cadeau mieux ou différent, prévoir une soirée surprise à la maison ou au restaurant, appeler la baby-sitter en la prévenant de garder le secret.

Depuis, chaque fois que j’entre chez nous, je prends une grande respiration, ne réponds pas tout de suite aux « bonsoir ! » qui m’accueillent, crispants. Je mets un genou sur le parquet, délace mes chaussures. Puis je vais m’enfermer dans la salle de bains. Je me lave les mains le plus longtemps possible. Et je sors affronter ma femme et mes enfants. Jade est en train de manger son yaourt. Sa petite sœur de badigeonner la table de purée, la bouche obstinément fermée devant la cuillère que lui tend sa mère. Je me force à être cool. Surtout ne pas m’énerver.