vendredi 8 juillet 2011

Chapitre 02. Ménage.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Nous nous sommes rencontrés dans un mariage. J’étais le cousin du marié, elle une des meilleures amies de la mariée. J’étais à une table ennuyeuse, obligé de parler de l’actualité, de l’immobilier, des vacances. La tannée. J’avais remarqué Clara en train de rire aux blagues d’un petit type vibrionnant. Un peu jaloux, j’avais guetté le moment où elle se levait et lui apportait une coupe. Très souriante, elle trinqua avec moi à notre rencontre et poursuivit son chemin vers son groupe de copines.

Plus tard, sur la piste de danse, nous avons apprécié nos corps en mouvement. Encore plus tard, sur un banc du grand parc constellée de fleurs blanches qui semblaient lumineuses dans la nuit, nous nous sommes embrassés. J’ai défait son bustier. Quelle beauté, le torse nu caressé par la pleine lune.

Deux mois ont passé avant que nous nous mettions en ménage. Puis le premier bébé. Et les premiers signes d’essoufflement de notre couple. Le deuxième bébé. L’emploi du temps délirant : nous ne nous croisions presque jamais. Elle finissait encore plus tard que moi. La nounou n’en pouvait plus d’attendre tous les soirs notre arrivée. Tensions grandissantes. Puis Clara s’est fait virer. Puis elle a retrouver un job à mi-temps dans une agence immobilière du quartier. Du coup, elle cumulait les frustrations d’un travail en deçà de ses qualifications et celles de la femme au foyer devant s’occuper tous les après-midis des enfants.

A ce moment, je me suis débrouillé pour fixer des réunions de plus en plus tard, pour éviter l’ambiance tendue des repas, des bains, des couchers. Pour revenir au moment où, fatiguée de sa journée, elle était déjà devant la télé ou au lit avec un bouquin.

Elle avait été très surprise de ma demande en mariage. J’ai même senti une hésitation telle que j’ai cru qu’elle allait demander un délai de réflexion. Mais elle a dit oui, les larmes aux yeux. Cela m’avait paru un bon signe.

mardi 5 juillet 2011

Chapitre 01. Simulacres.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Un sentiment diffus s’est mué en certitude, un soir, en rentrant du bureau. La lassitude d’une vie trop prévisible. Je mets la clef dans la serrure, je tourne. Ma fille aînée s’exclame « Voilà Papa ! Vite, cachons-nous !». Exaspérant. La première fois, j’étais tout content d’entrer comme si je n’avais rien entendu. De dire d’une grosse voix Mais où est donc Jade ? Mais où se cache-t-elle donc ? Et de l’apercevoir du coin de l’œil, frémissante derrière le rideau du salon. De m’en approcher comme par hasard, puis de la prendre dans mes bras en la chatouillant. Et puis, au bout de plusieurs soirs, la répétition de ce petit manège a commencé à me fatiguer.
A présent, je redoute d’entendre sa voix joueuse. Mais hier, je suis ne suis pas entré dans son jeu. J’ai complètement ignoré ses appels et ses gloussements. J’ai hurlé un ultimatum de retourner vite fait à table ou je lui flanque une fessée. Hésitante, comme pour voir si j’étais bien sérieux – mais elle connaît le ton de ma voix- elle a sorti sa tête. Puis est venue s’asseoir devant son assiette à moitié finie, l’air triste.

C’est comme avec sa mère. Tous les bons moments se sont mués en simulacres crispants, à force de se répéter. Les petites attentions, qui montrent que nous nous connaissons si bien, deviennent à force insupportables. Comme des violations incessantes d'intimité. Les anniversaires, épreuves à surmonter années après années : trouver un cadeau mieux ou différent, prévoir une soirée surprise à la maison ou au restaurant, appeler la baby-sitter en la prévenant de garder le secret.

Depuis, chaque fois que j’entre chez nous, je prends une grande respiration, ne réponds pas tout de suite aux « bonsoir ! » qui m’accueillent, crispants. Je mets un genou sur le parquet, délace mes chaussures. Puis je vais m’enfermer dans la salle de bains. Je me lave les mains le plus longtemps possible. Et je sors affronter ma femme et mes enfants. Jade est en train de manger son yaourt. Sa petite sœur de badigeonner la table de purée, la bouche obstinément fermée devant la cuillère que lui tend sa mère. Je me force à être cool. Surtout ne pas m’énerver.