mardi 5 juillet 2011

Chapitre 01. Simulacres.


Je vais quitter ma femme, mais elle ne le sait pas encore. Un sentiment diffus s’est mué en certitude, un soir, en rentrant du bureau. La lassitude d’une vie trop prévisible. Je mets la clef dans la serrure, je tourne. Ma fille aînée s’exclame « Voilà Papa ! Vite, cachons-nous !». Exaspérant. La première fois, j’étais tout content d’entrer comme si je n’avais rien entendu. De dire d’une grosse voix Mais où est donc Jade ? Mais où se cache-t-elle donc ? Et de l’apercevoir du coin de l’œil, frémissante derrière le rideau du salon. De m’en approcher comme par hasard, puis de la prendre dans mes bras en la chatouillant. Et puis, au bout de plusieurs soirs, la répétition de ce petit manège a commencé à me fatiguer.
A présent, je redoute d’entendre sa voix joueuse. Mais hier, je suis ne suis pas entré dans son jeu. J’ai complètement ignoré ses appels et ses gloussements. J’ai hurlé un ultimatum de retourner vite fait à table ou je lui flanque une fessée. Hésitante, comme pour voir si j’étais bien sérieux – mais elle connaît le ton de ma voix- elle a sorti sa tête. Puis est venue s’asseoir devant son assiette à moitié finie, l’air triste.

C’est comme avec sa mère. Tous les bons moments se sont mués en simulacres crispants, à force de se répéter. Les petites attentions, qui montrent que nous nous connaissons si bien, deviennent à force insupportables. Comme des violations incessantes d'intimité. Les anniversaires, épreuves à surmonter années après années : trouver un cadeau mieux ou différent, prévoir une soirée surprise à la maison ou au restaurant, appeler la baby-sitter en la prévenant de garder le secret.

Depuis, chaque fois que j’entre chez nous, je prends une grande respiration, ne réponds pas tout de suite aux « bonsoir ! » qui m’accueillent, crispants. Je mets un genou sur le parquet, délace mes chaussures. Puis je vais m’enfermer dans la salle de bains. Je me lave les mains le plus longtemps possible. Et je sors affronter ma femme et mes enfants. Jade est en train de manger son yaourt. Sa petite sœur de badigeonner la table de purée, la bouche obstinément fermée devant la cuillère que lui tend sa mère. Je me force à être cool. Surtout ne pas m’énerver.

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